Les cours d’eau intermittents en danger ?
Thibault Datry et Hervé Pella, INRAe ZABR
Un travail d’expertise dans la région Auvergne Rhône-Alpes a tenté de comprendre les critères utilisés pour classer le chevelu du réseau hydrographique en cours d’eau ou non cours d’eau. Dans la grande majorité des cas (64%), c’est le critère « d’un débit suffisant une majeure partie de l’année » qui a conduit au déclassement de cours d’eau intermittents, bien qu’il ait été jugé comme étant le critère le plus problématique à évaluer ». Dommage pour ces cours d’eau qui sont d’une richesse et d’une importance biologique considérable !
Les cours d’eau font partie des écosystèmes les plus menacés par les activités humaines alors que leur contribution à la biodiversité globale est majeure : bien que ne représentant, avec les lacs et les étangs uniquement 2% de nos paysages, ils abritent près de 10% de toutes les espèces animales décrites à ce jour. Ils offrent également une longue suite de services écosystémiques qui bénéficient aux sociétés : eau potable, purification, activités touristiques, etc. C’est dans l’objectif de protéger ces milieux fragiles et vitaux que le législateur a produit et mis à jour la loi sur l’eau de 2006 (loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006), qui s’inscrit plus largement dans le cadre de la Directive Cadre européenne sur l’Eau de 2000 (DCE 2000/60/CE).
Toutefois, il n’existe pas de définition légale unique de ce qu’est un cours d’eau, mais plutôt une série de décisions de jurisprudence. La définition claire d’un cours d’eau n’est donnée « ni par la loi, ni par le règlement, mais a été laissée à l’appréciation du juge » (circulaire.legifrance.gouv.fr). En conséquence, toute opération sur un cours d’eau qui va au-delà du simple entretien nécessite une déclaration ou une autorisation de la loi sur l’eau, ce qui n’est pas le cas pour un fossé par exemple. Cela explique qu’une instruction gouvernementale datée du 3 juin 2015 relative à la « cartographie et l’identification des cours d’eau et à leur entretien » a vu le jour pour aider à définir le cadre d’application de la loi.
Un cours d’eau se définit dans cette instruction comme ayant un lit naturel d’origine, une alimentation par une source et un débit suffisant une majeure partie de l’année. Le dernier critère est particulièrement flou et sujet à débat : les cours d’eau intermittents, qui sont prévalent sous tout type de climats et dominent les paysages Méditerranéen et arides sont d’une richesse et d’une importance biologiques considérables. Via ce décret, les Directions Départementales des Territoires (DDTs) de chaque département Français ont été chargées d’expertiser l’ensemble du réseau hydrographique qui apparait sur les cartes de la BD Topo de l’IGN (échelle 1/25000e) pour déterminer ce qui était cours d’eau, de ce qui ne l’est pas.
En 2020, un projet de recherche qui a donné lieu à un travail de Master (M2P Lyon1) a exploré l’état actuel de ce travail d’expertise dans la région AURA et tenté de comprendre les critères utilisés pour classer le chevelu du réseau hydrographique en cours d’eau ou non cours d’eau. Voici ci-dessous un tableau (Tableau 1) indiquant pour chaque département, l’état de cette classification en prenant comme base géographique la couche hydrographique de la BD Topo, ainsi qu’un exemple de cartographie issue de l’Ain (Figure 1). Dans certains cas, ces données publiques ont été difficiles à acquérir et il n’a pas été possible d’obtenir celle concernant la Haute Loire (43) malgré plusieurs tentatives au cours de l’année.
Département | Restant à expertiser (%) | Classé en cours d’eau (%) | Déclassé en non cours d’eau | Linéaire total (km) |
Ain 01 | 14,2 | 55,0 | 30,8 | 7 511 |
Allier 03 | 43,6 | 53,8 | 2,6 | 9 761 |
Ardèche 07 | 57,9 | 39,4 | 2,8 | 16 265 |
Cantal 15 | 11,6 | 88,4 | 0,0 | 10 622 |
Drôme 26 | 49,8 | 23,5 | 26,7 | 18 607 |
Isère 38 | 35,7 | 45,2 | 19,1 | 13 940 |
Loire 42 | 37,0 | 51,3 | 11,7 | 8 098 |
Puy de Dôme 63 | 16,6 | 76,3 | 7,1 | 11 818 |
Rhône 69 | 12,9 | 86,5 | 0,6 | 4 747 |
Savoie 73 | 65,9 | 32,2 | 1,9 | 18 023 |
Haute-Savoie 74 | 32,8 | 50,5 | 16,7 | 9 571 |
Linéaire totale (km) | 50 794 | 63 769 | 14 401 | 128 964 |
Tableau 1. Pourcentage du linéaire des cours d’eau restant à expertiser, des cours d’eau et non cours d’eau pour chaque département de la région Auvergne-Rhône-Alpes
Figure 1 Cartographie des pourcentages de cours d’eau déclassifiés par bassin versant unitaire du Rht et de la classification d’eau cours d’eau (vert à expertiser, bleu cours d’eau, rouge non cours d’eau)
Ce travail a montré une disparité forte entre les départements que ce soit concernant l’avancement du travail (entre 34.1 % (Savoie) et 88.4 % (Cantal) du réseau expertisé) et la proportion de cours d’eau déclassée (entre 0 % (Cantal) et 30.8 % (Ain)). Après avoir interrogé 25 acteurs de ces expertises (OFB, DDT, Chambres d’Agriculture), il apparait que dans la grande majorité des cas (64%), c’est le critère « un débit suffisant une majeure partie de l’année » qui a conduit au déclassement, bien qu’il ait été jugé comme étant le critère le plus problématique à évaluer (Photo Hervé Pella – Ruisseau des Tendasses le 15 septembre 2020)
Il est en effet largement reconnu que les cours d’eau intermittents, c’est-à-dire cessant de s’écouler et/ou s’assèchent une partie de l’année, sont absents des réseaux de surveillance hydrologique (ie Banque Hydro) des cours d’eau, ce qui conduit à développer des réseaux d’observations par l’OFB (ONDE) ou des approches de sciences participatives allant d’échelle régionale (Poitou-Charentes, Hydro-POP) à Européenne (SMIRES). Il est de plus en plus reconnu que ces cours d’eau sont vitaux pour le maintien de la biodiversité, de l’intégrité écologique et des services écosystémiques des réseaux hydrographiques.